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Anne-Laure P
Recherche sur le diabète et ses risques pour la santé des yeux : deuxième partie de notre interview auprès de Xavier Guillonneau, chercheur Inserm à l'Institut de la Vision.
Relire la partie 1 : "Diabète et santé des yeux : les lipides en question" >
Xavier Guilloneau, chercheur Inserm à l’Institut de la Vision, en charge d’un groupe qui étudie l’implication des mécanismes inflammatoires dans les maladies vasculaires rétiniennes, au sein de l’équipe « Inflammation dans les pathologies de la rétine » dirigée par Florian Sennlaub. © GBlanquet_Sorbonne_Universite
Parmi les conséquences du diabète, on trouve une perturbation de la réabsorption des fluides oculaires. Celle-ci conduit à leur accumulation dans la rétine, provoquant un œdème maculaire diabétique qui mène à une perte de vision extrêmement rapide. Une injection en urgence d’anti-VEGF permet heureusement de résorber intégralement l’œdème, mais il faut agir rapidement. Car le risque en cas d’installation de l’œdème vient du fait que les neurones, pour fonctionner, ont besoin d’un contact étroit avec leurs cellules épithéliales de support, qui assurent un recyclage constant des fluides, des ions circulant dans la rétine (comme c’est également le cas dans le cerveau entre les neurones et la glie). « En imagerie, on va voir apparaitre des sortes de trous dans la rétine, qui correspondent à des logettes dans lesquelles s’accumule des fluides. En plus de perturber directement les neurones faute d’un recyclage optimal des ions et autres composants nécessaire à leur fonctionnement, ces logettes sont également un obstacle physique à la transmission de la lumière. Celle-ci doit en effet suivre une ligne droite pour atteindre directement les photorécepteurs, et risque de rebondir ou d’être détournée par ces poches de fluides », précise le chercheur. La tomographie en cohérence optique (OCT) permet de diagnostiquer l’œdème maculaire, d’en évaluer la gravité et la réponse au traitement.
Le Pr Michel Paques, médecin-chercheur de l’IHU FOReSIGHT (Hôpital National des 15-20 et Institut de la Vision), et ses équipes, ont développé une nouvelle utilisation du laser de photocoagulation pour traiter l’œdème maculaire, complication très courante du diabète ou des occlusions veineuses rétiniennes.
Ils tirent pour cela parti d’un protocole d’imagerie optimisé, utilisant l’angiographie rétinienne au vert d’indocyanine. Ce colorant, utilisé couramment pour le diagnostic d’autres pathologies, permet de révéler des anomalies vasculaires rétiniennes qui échappaient jusqu’ici à l’examen « classique ». Il s’agit de dilatations permanentes et anormales des capillaires rétiniens, des télangiectasies, qui sont à l’origine d’œdèmes maculaires. Une fois identifiées, ces lésions sont cicatrisées par l’impact d’un laser ciblé. Dans certains cas, une seule application a des effets bénéfiques durant plusieurs années et permet ainsi de diminuer le nombre d'injections intravitréennes, traitement classique de l'œdème maculaire. Une étude randomisée sur l’efficacité et l’innocuité du traitement, financée par le ministère de la santé, est actuellement en cours et implique 10 centres en France. Elle se terminera en 2025 et, si elle s’avère aussi concluante qu’espérée, pourrait faire rentrer ce traitement en routine dans l’arsenal thérapeutique.
« On constate que dans la pathologie diabétique, l'inflammation est présente dès le début, et qu’elle ne disparait pas »
Xavier Guillonneau, chercheur Inserm à l'Institut de la Vision.
Le groupe de Xavier Guillonneau pourrait bien avoir mis le doigt sur un angle de traitement original, applicable dès la phase précoce de la rétinopathie diabétique. En effet, les patients diabétiques présentent une inflammation systémique chronique. Celle-ci se traduit par la présence dans leurs yeux de cellules du système immunitaire et de molécules pro-inflammatoires dans des proportions bien plus élevées que chez des contrôles sains. Mais est-ce que cette inflammation est la cause, ou la conséquence de la pathologie ? « C'est toujours l'histoire de la poule et de l'œuf, mais on constate que dans la pathologie diabétique, l'inflammation est présente dès le début, et qu’elle ne disparait pas. Elle fait même partie des premiers symptômes de la pathologie. Du coup, notre idée était la suivante : autant prendre en compte cette inflammation dès le début et essayer de réduire au maximum son association avec la pathologie », détaille Xavier Guillonneau. Une approche qui rejoint celle que son équipe applique pour la DMLA (consulter l'article "Du nouveau dans le diagnostic de la DMLA atrophique ?" > ).
L’utilisation d’anti-inflammatoires en local va provoquer un certain nombre d’effets secondaires qui vont de l’augmentation de la pression intraoculaire (avec les conséquences sur le nerf optique que l’on sait dans le glaucome) au déclenchement de la cataracte. Ces traitements sont donc réservés à une approche de deuxième ligne, en cas d’échec des anti-VEGF. De plus, les mécanismes qui relient le diabète à cette neuro-inflammation sont encore largement méconnus, ce qui ne facilite pas sa prise en charge spécifique.
Représentation schématique d'un microanévrisme rétinien rompu entraînant une fuite de plasma dans une rétine. ©DR
C’est à ce sujet que s’est intéressé Xavier Guillonneau. « Nous voulions voir comment cette neuro-inflammation pouvait être associée aux différents facteurs systémiques aggravants présents dans le diabète. Nous sommes partis assez logiquement sur la glycémie, parce que ça paraît toujours une très bonne piste chez les patients diabétiques. Mais force a été de constater que le sucre n’est pas tellement pro-inflammatoire pour les cellules immunitaires et les cellules gliales », décrit le chercheur. Il s’est donc penché sur une autre caractéristique des patients diabétiques, le niveau anormalement élevé des lipides circulant dans leur sang (la dyslipidémie). En collaboration avec l’hôpital Lariboisière et la fondation ophtalmologique Conde de Valenciana de Mexico, son groupe a analysé des échantillons de plasma sanguin et de tissus rétiniens de patients atteints de diabète de type 2 afin d’étudier le rôle de l’inflammation et des lipides dans la progression de la maladie. En effet, la dyslipidémie provoque la production de tout l’éventail des cytokines inflammatoires retrouvées chez les patients diabétiques.
« L’excès de sucre dans le sang va fragiliser les vaisseaux, ce qui va engendrer de premières micro-fuites dans la rétine. Ce sont ces fuites qui sont extrêmement pro-inflammatoires car elles permettent à tous les composés sanguins et à des cellules pro-inflammatoires d’entrer dans un environnement qui est normalement très contrôlé », récapitule Xavier Guillonneau. Ce que son groupe de recherche a montré, c’est que parmi ces cellules inflammatoires qui s’infiltrent dans la rétine à la faveur des microfuites et anévrismes, on retrouve des monocytes, un type de cellules immunitaires. Dans l’environnement modifié de la rétine soumise à la rétinopathie diabétique, avec son taux élevé de lipides, ces monocytes vont se différencier en un sous-type particulier. Les chercheurs ont découvert que cette sous-classe de cellules immunitaires, reconnaissable car elle accumule les lipides, produit des cytokines ayant un effet vasodégénératif. C’est-à-dire qu’au lieu de venir résoudre l’inflammation, et d’aider à réparer les tissus et promouvoir la croissance des néovaisseaux, ces macrophages pathologiques vont au contraire contribuer à attaquer les vaisseaux, enclenchant le cercle vicieux qu’on constate dans l’évolution de la pathologie. « Dans la DMLA, cela mène à la neurodégénération des photorécepteurs. On se demande donc si cela fait la même chose dans la rétinopathie diabétique, mais ça ce sera le sujet d’un prochain article » sourit Xavier Guillonneau.
Mais les scientifiques ne se sont pas arrêtés à la constatation. Dans un bel exemple de recherche translationnelle, ils ont testé une famille de molécules déjà connue pour diminuer efficacement le taux de lipide sanguin chez les patients diabétiques, Les récepteurs activés par les proliférateurs de peroxisomes (PPAR), et notamment la classe gamma. Les scientifiques ont ainsi pu montrer que cette approche pharmacologique permettait de diminuer in vitro la différenciation pathologique des monocytes. Cependant, l’utilisation in vivo de PPAR-gamma est complexe. Du fait du très grand nombre et de la vaste localisation de ses cibles dans le corps humain, une administration systémique serait en effet très délicate, et risquerait d’avoir de nombreux effets secondaires. Xavier Guillonneau et ses collègues ont donc fait le pari de cribler des milliers de composés pour trouver des candidats médicaments à même de diminuer l’activation des monocytes par les lipides pathologiques qu’ils ont identifiés. Dans un premier temps, les chercheurs se concentrent sur des molécules déjà autorisées sur le marché. L’objectif, pouvoir rapidement aller en clinique en repositionnant les candidats identifiés sur un traitement pour la phase précoce de la rétinopathie diabétique.
Propos recueillis par Aline Aurias
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La rétinopathie diabétique est une pathologie qui atteint la rétine de l’œil. Elle est due à une grave complication d'une maladie générale : le diabète.
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